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La douleur chronique - L’axe intestin-articulations

Aoife Earls
MSc, ND
http://www.draoife.com
16 February 2019
Français

L’axe intestin-articulations
by Dr. Aoife Earls, MSc, ND
345 Lakeshore Rd E Suite 212
Oakville, ON L6J 1J5







Chronic Pain

La douleur chronique constitue un problème de santé important, et l’on estime que la moitié des personnes atteintes de douleur chronique en souffrent depuis plus de 10 ans [1]. Environ 52,5 millions de Nord-Américains ont reçu un diagnostic de troubles arthritiques [2], des affections généralement traitées avec des anti-inflammatoires non-stéroïdiens (AINS). Ces médicaments agissent en inhibant des molécules pro-inflammatoires appelées cytokines, notamment l’interleukine IL-6, le facteur de nécrose tumorale alpha (TNFα), et les prostaglandines [3]. Il est bien connu que l’utilisation prolongée d’AINS comme l’ibuprofène et le paracétamol entraine des effets secondaires tels qu’ulcères, hémorragie gastro-intestinale, brûlures d’estomac, ballonnements et gaz [4]. On sait également que les AINS contribuent à l’hyperperméabilité du tube digestif, appelée aussi « syndrome de l’intestin perméable » [5]. Ces facteurs peuvent entrainer le développement d’allergies, d’une colonisation bactérienne chronique de l’intestin grêle, du syndrome du côlon irritable (SCI), entre autres troubles digestifs.

Les professionnels de santé alternative sont souvent sollicités pour soigner diverses affections liées à la douleur chronique, telles que l’arthrose et la polyarthrite rhumatoïde (PR), sans faire appel aux antidouleurs, mais au contraire en soignant l’organisme des effets néfastes de ces médicaments. Étant donnée la prévalence des inflammations articulaires dans le SCI [6,7], et la prévalence générale de la douleur chronique et des déséquilibres gastro-intestinaux (GI) liés au vieillissement, notre compréhension de l’axe intestin-articulations doit absolument devenir un élément majeur de notre façon d’aborder la maladie, plutôt que de se contenter de supprimer la douleur [5,6].

État du microbiome et douleur articulaire chronique
Chronic Pain

Le tube digestif peut être vu comme notre première ligne de défense contre les agents étrangers, grâce à une combinaison de bonnes bactéries commensales et d’une forte intégrité épithéliale [8]. Une proportion correcte de flore bénéfique entraine un bon équilibre immunitaire ; la présence de nombreuses bactéries lactiques, telles que les lactobacilles et les bifidobactéries, a une influence positive sur les lymphocytes T auxiliaires, qui contrôlent la réactivité immunitaire dans le SCI, la douleur chronique et l’arthrite réactionnelle [9-11]. À l’inverse, un tube digestif davantage colonisé par des bactéries pathogènes comme Clostridia ou Klebsiella peut contribuer aux maladies articulaires [12-14]. En dehors du tube digestif, des processus de réactivité croisée peuvent survenir entre les antigènes bactériens des tissus hôtes, entraînant la production d’autoanticorps et déclenchant des cascades inflammatoires dans la membrane synoviale [12].

La prise de probiotiques contenant des bactéries lactiques telles que S. thermophilus, L. bulgaricus, L. acidophilus, ou Bifidobacterium bifidus a été associée à une réduction de l’arthrite réactionnelle par des études sur des animaux atteints d’arthrite [12,15,16], les probiotiques et les prébiotiques (inule, lin) ayant montré un impact sur les troubles musculo-squelettiques chez l’homme [12].

Pourtant, toutes les « bonnes » bactéries ne garantissent pas une bonne santé articulaire. La colonisation bactérienne chronique de l’intestin grêle peut favoriser le développement de douleurs articulaires et de syndrome proches de la fibromyalgie systémique. Dans des études sur des animaux atteints de PR, des rats maintenus dans des conditions stériles n’ont pas développé la maladie jusqu’à ce qu’ils soient exposés à des colonies bactériennes normales et que leur côlon soit capable de développer une flore bactérienne « normale » [15,17]. Ce n’est qu’ensuite qu’ils ont développé une inflammation synoviale ou articulaire. On a aussi pu montrer que des rats stériles ont moins d’inflammations intestinales et articulaires [18]. L’important est donc de maintenir l’équilibre, dans la flore bactérienne, entre l’immunité à médiation cellulaire (TH1) et l’immunité humorale (Th2) [19]. Deux stratégies-clés permettent de parvenir à ce résultat : une bonne nutrition et la régulation des hormones du stress.

Soutien nutritionnel pour l’arthrite

Les régimes alimentaires de type végétarien riches en fibres, en antioxydants comme l’argousier et le sureau, en bonnes bactéries (lactobacilles) présentes dans les aliments fermentés tels que choucroute et légumes marinés, pourraient réduire la douleur, et améliorer la qualité de vie des personnes atteintes de PR [23,24]. En ce qui concerne l’arthrose, des résultats semblables peuvent être observés avec la consommation d’extraits d’avocat et de soja, les patients gagnant en mobilité articulaire, avec une meilleure prévention et inhibition de la dégradation du cartilage des articulations [25]. D’autres recherches seraient nécessaires pour déterminer les mécanismes et les proportions nutritionnelles précises permettant de réduire la douleur.

Sensibilités alimentaires et inflammation articulaire
Chronic Pain

On ne connait pas d’aliments spécifiques qui soulageraient la douleur, mais on sait quels sont ceux à éviter. Le sucre, par exemple, a été associé à une augmentation du risque de développer une PR [20]. On sait également que les glucides simples ont une influence sur le microbiome intestinal : que ce soit chez l’animal ou chez l’homme, on sait que le régime alimentaire occidental (riche en graisses et en sucre) accentue le nombre de souches vectrices de maladies (Firmicutes) et réduit le nombre de bactéries bénéfiques (Bacteroidetes) [21,22]. Des allergies et/ou des intolérances alimentaires non diagnostiquées peuvent être des déclencheurs inflammatoires de douleurs chroniques dans le système musculo-squelettique. Les intolérances et allergies alimentaires pouvant être difficiles à diagnostiquer, et le résultat des analyses pouvant varier en termes de sensibilité et de spécificité (surtout pour les intolérances liées aux IgG) [26], les régimes d’élimination restent la meilleure solution pour le diagnostic. En matière clinique, l’élimination des produits laitiers de vache est prometteuse, et les déclencheurs les plus couramment étudiés sont notamment les antigènes du lait de vache (α‐lactalbumine, β‐lactoglobuline, caséine), le blé et le gluten de blé, les œufs (ovalbumine) et les protéines de soja. Une étude de cas de 1981 a révélé que la suppression des produits laitiers réduisait la douleur, la raideur et améliorait la force de préhension chez un patient atteint de PR [27], et un essai contrôlé randomisé mené auprès de 94 patients atteints de PR a montré que l’élimination des protéines du lait dans un sous-groupe de patients allergiques au lait soulageait la maladie [28].

L’analyse du sérum sanguin pour déceler ces sensibilités est un vrai enjeu. Une équipe étudiant les intolérances alimentaires chez 21 patients atteints de la maladie de Sjögren, une maladie auto-immune de la peau, a observé une réactivité accrue dans la région anale (rectum) en réponse à la consommation de protéines de lait de vache chez 8 d’entre eux [30]. Beaucoup de ces patients présentaient également des symptômes du SCI, et quelques-uns étaient également sensibles au gluten.

Influence des hormones du stress sur l’axe intestin-articulations

La douleur chronique elle-même est une affection physiquement et émotionnellement éprouvante. Le contrôle des hormones du stress devrait constituer une partie importante du traitement, notamment si l’on prend en compte le fait que la douleur chronique diminue la qualité de vie, non seulement en raison du changement de niveau d’activité et des restrictions physiques, mais parce que la dépression et l’anxiété surviennent souvent en même temps [31].

Chronic Pain

Nous savons par la recherche que le cortisol, l’hormone du stress, peut nuire à la santé intestinale [32]. Le taux de sérotonine est réduit par le stress, alors que celui du cortisol augmente [33]. Du fait que plus de 90% de la sérotonine est produite dans l’intestin, lorsque des personnes ont besoin de glucides pour augmenter leur taux de sérotonine, elles peuvent indirectement augmenter l’inflammation en raison de la prise de poids ou des types d’aliments qu’elles choisissent pour combler ce besoin. Les patients en surpoids atteints d’arthrose souffrent davantage que les personnes ayant un poids normal, et éprouvent un soulagement des symptômes après avoir consommé des aliments riches en graisses et en sucre [34,31]. La réduction du taux de cortisol, l’hormone du stress, pose également un problème. La médecine chinoise décrit cette situation comme un défaut de yang rénal (rhume, corps douloureux, épuisement, diarrhée, affections proches du SCI), dont on a démontré par une étude sur l’animal qu’il pouvait être traité efficacement par la phytothérapie [35].

Ce qui est fascinant, c’est que le Curcuma longa (la curcumine), bien connu pour sa capacité à soulager la douleur chronique dans la plupart des affections musculo-squelettiques [36,38], peut aussi réduire le taux d’hormone du stress. Dans des études animales sur la douleur constrictive chronique, l’hypersensibilité à la douleur (hyperalgie) et les taux de cortisol ont diminué avec la consommation de curcumine, comme on l’a souvent observé dans les troubles neuropathiques douloureux chez l’homme [39]. La régulation à la baisse des IL-6, TNFα et IL1β, des médiateurs-clés de la douleur inflammatoire, et la régulation à la hausse du système immunitaire sont observées avec la curcumine dans des études animales similaires [40]. La curcumine a également une influence sur l’inflammation induite par l’alimentation occidentale [41].

Phytothérapie et axe intestin-articulations

Boswellia serrata, appelé aussi « arbre à encens », est une plante très efficace pour soulager la douleur des inflammations articulaires, mais aussi traiter les maladies gastro-intestinales et l’arthrose [42,43]. On l’a aussi associé à la cicatrisation des lésions de la muqueuse intestinale et à la protection contre de futures lésions liées au SCI [44]. Cette résine, relativement bon marché, peut se trouver dans le commerce équitable. On a montré dans des études sur le rat que Rehmannia glutinosa, utilisé depuis bien des siècles par la médecine chinoise comme régulateur du cortisol, adaptogène (modulateur de stress) et médiateur d’auto-immunité, réduisait la douleur neuropathique chronique en fonction de la dose utilisée [43].

Conclusion

Il est encourageant de constater que de nombreuses personnes ont recours à des traitements nutritionnels ou phytothérapiques pour réduire leur dépendance aux médicaments contre la douleur chronique. Nous devons, encore une fois, chercher les causes profondes de la douleur plutôt que de nous contenter de l’atténuer, même si nous souhaitons personnellement réduire cette douleur et sommes en mesure de le faire. En nous concentrant sur l’axe intestin-articulations, nous sommes à même de mieux prendre en charge la douleur chronique.