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Les probiotiques, Partie 2

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Les probiotiques offrent de vastes possibilités d’usages thérapeutiques et nous n’avons pas fini d’en apprendre au sujet de leurs actions spécifiques. Le précédent article s’était intéressé à la classification et au rôle des probiotiques dans la fonction immunitaire et la digestion. Il avait notamment été question d’auto-immunité, de réactions cutanées atopiques et de problèmes respiratoires. Cet article traitera essentiellement de la composition d’un microbiote sain, en comparaison avec un microbiote dysbiotique, des effets des probiotiques sur les marqueurs métaboliques et de l’intercommunication entre le microbiote, les intestins et le cerveau.

La composition du microbiote

probioticsLa composition de notre microbiote est déterminée au début de la vie par des circonstances telles que l’âge gestationnel, le mode d’accouchement (vaginal ou par césarienne), le type de lait donné au nourrisson (maternel ou artificiel), l’alimentation, l’administration d’antibiotiques et d’autres facteurs de stress variés.1 Une fois qu’elle est établie, la composition reste relativement stable pendant la vie adulte. On observe des changements mineurs chez les personnes plus âgées qui ont des niveaux plus élevés de Bactéroïdes et de Clostridium par rapport aux adultes plus jeunes, chez qui on observe une prédominance de Firmicutes. 2Le concept d’entérotypes implique une classification des microbiotes humains en trois principaux genres : Bactéroïdes (entérotype 1), Prevotella (entérotype 2), tous les deux classés dans l’embranchement des Bactéroïdètes et Ruminococcus (entérotype 3), classé dans l’embranchement des Firmicutes. 3 De nombreuses études ont identifié des liens entre l’alimentation et la composition de la microflore intestinale. Par exemple, l’alimentation occidentale est souvent associée à une proportion plus élevée de Bacteroïdes spp. dans le microbiote intestinal, tandis que des régimes essentiellement végétariens sont associés à des quantités plus élevées de Prevotella spp. 4 Pour rappel, les Firmicutes incluent les Lactobacillus et les Bacillus, entre autres, ce qui permet de comprendre les bienfaits d’une supplémentation avec ces probiotiques. Les régimes riches en viande rouge provoquent une prolifération de bactéries sulfatoréductrices, qui sont associées à des changements susceptibles d’accroitre le risque de cancer colorectal et les régimes riches en fibres augmentent la production d’acides gras à courte chaine (AGCC) comme le butyrate, qui est bénéfique en raison de ses propriétés antitumorales. 5 Changer la variété et la composition de la microflore avec l’alimentation et des probiotiques représente donc un potentiel très intéressant.

La dysbiose

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Il existe divers types de dysbioses. La dysbiose à bactéries putréfiantes (principalement des Bactéroïdes) résulte généralement d’une alimentation riche en matières grasses et en viande, et pauvre en fibres. 6 La dysbiose de fermentation est généralement associée à l’utilisation d’antibiotiques et peut engendrer un syndrome du côlon irritable (SCI). La dysbiose de susceptibilité est associée à une perte de tolérance du microbiote, qui entraine des réponses immunitaires anormales et des maladies inflammatoires intestinales (MII). Généralement, il y a une diminution des « bonnes » bactéries et une augmentation des « mauvaises », associées à une atteinte de la motilité et une inflammation intestinale. 7 Pour terminer, la dysbiose fongique est caractérisée par une prolifération de Candida et d’autres espèces fongiques, résultant d’un régime riche en sucres et pauvre en fibres. 8 Les changements alimentaires et les supplémentations en prébiotiques, et probiotiques, ont été associés à des améliorations de la microflore et de l’équilibre homéostatique, ce qui est bénéfique pour rester en bonne santé et prévenir des maladies.

Les troubles métaboliques

L’obésité est associée à une augmentation de Bactéroïdètes au fil du temps et à une diminution de Firmicutes. 9 D’autre part, les patients atteints d’un diabète de type 2 (DM2) ont des quantités considérablement réduites de Firmicutes et on observe un profil similaire dans les maladies auto-immunes comme le diabète de type 1. 10 Le syndrome métabolique se caractérise par une dérégulation de la glycémie, du cholestérol, des inflammations, de la graisse abdominale, de la tension artérielle et par un risque accru de maladies cardiovasculaires, notamment le DM2. De nombreuses méta-analyses ont constaté qu’une supplémentation en probiotiques pouvait avoir un effet positif sur la glycémie, l’insuline et la tension artérielle. 11,12,13 Cinq méta-analyses ont constaté à plusieurs reprises des améliorations dans les niveaux de cholestérol total (CT) et LDL, mais pas d’effet significatif sur les triglycérides (TG) ou le cholestérol HDL. 14,15,16,17,18 La durée de l’administration de probiotiques était importante, avec une efficacité accrue au-delà de 4 semaines, en termes de réduction des niveaux de cholestérol , 19,20 et il est apparu dans une autre méta-analyse que les TG diminuaient considérablement avec une utilisation de probiotiques de plus de 8 semaines. 21 Les résultats étaient également plus prononcés chez les sujets avec des niveaux de cholestérol légèrement élevés que chez ceux avec des niveaux normaux. 22 Des souches spécifiques telles que L. acidophilus, B. lactis et L. plantarum, avaient été associées à une baisse du CT, 23,24 tandis que L. plantarum et L. reuteri avaient réduit le cholestérol LDL. En ce qui concerne les niveaux de TG, malgré de rares variations, des effets bénéfiques évidents ont été associés à la consommation d’aliments symbiotiques contenant du L. sporogenes (ou Bacillus coagulans) et de l’inuline. 25 Des baisses de la tension artérielle systolique et diastolique ont également été observées avec une supplémentation en probiotiques 26,27,28 et l’IMC de patients obèses s’était améliorée. 29 L. gasseri avec du galactomannane et/ou des fibres d’inuline est associé à une perte de poids et à des effets anti-inflammatoires. 30 Plus spécifiquement, il a été démontré que L. gasseri BNR17 avait la capacité d’inhiber l’augmentation de tissu adipeux, ce qui induit ensuite une sécrétion de leptine réduite.31 Une importante perte de poids chez des femmes obèses a été observée avec du L. rhamnosus CGMCC, grâce à augmentation de la satiété, une diminution de l’envie de grignoter, une baisse du score obtenu à l’Inventaire de dépression de Beck (BDI) et une amélioration de l’image corporelle, ce qui a des répercussions sur la santé mentale et émotionnelle. 32 Les supplémentations à base de Saccharomyces boulardii avec de la superoxyde dismutase (SOD) ont montré des résultats similaires, avec une importante perte de poids et une diminution de l’IMC, de l’insuline et de la masse graisseuse chez des patients obèses avec l’utilisation d’un placebo de comparaison. 33 Les recherches sur les prébiotiques ont démontré qu’ils pouvaient diminuer le risque de maladies cardiovasculaires, en réduisant les quantités d’éléments inflammatoires, et indiquent que les galacto-oligosaccharides (GOS) pourraient réduire le cholestérol, et qu’une combinaison de fructo-oligosaccharides (FOS) et de L. rhamnose avait des effets lipogéniques dus à une production d’acétate, de butyrate et de propionate. 34 De manière générale, les probiotiques semblent avoir des effets bénéfiques chez les personnes présentant des signes et des symptômes variés de troubles métaboliques, impliquant notamment des problèmes de tension artérielle, de glycémie, d’insuline, de cholestérol, d’IMC et d’inflammation.

L’axe microbiote-intestins-cerveau

Le concept d’axe microbiote-intestins-cerveau représente un nouveau domaine de recherche et il est bien fréquent d’observer des troubles intestinaux impliquant de la dépression, et de l’anxiété, et vice versa. De nombreux mécanismes ont été suggérés pour expliquer le fonctionnement de cette voie de communication bidirectionnelle entre le cerveau et les intestins, notamment une activation du système immunitaire, une stimulation du nerf vague, des changements dans le métabolisme du tryptophane et une production de métabolites microbiens neuroactifs. 35 Il existe un lien entre la dysbiose et la dépression et il a été démontré qu’une exposition microbienne anormale pendant l’enfance et le stress périnatal influençaient la maturation du microbiote, et le système immunitaire, ce qui contribue à la dépression. 36 L’utilisation d’antibiotiques peut réduire fortement la diversité des bactéries intestinales et augmente le risque d’être confronté à de l’anxiété plus tard dans la vie. 37 D’autre part, il a été mis en évidence que les patients atteints de dépression caractérisée avaient des niveaux nettement plus bas de Bifidobacterium et de Lactobacillus en comparaison avec des sujets de contrôle 38, et l’utilisation d’antipsychotiques a été associée à une prise de poids et à une proportion réduite de Bactéroïdètes par rapport aux Firmicutes, ce qui complique encore plus la situation. 39

La dépression et l’anxiété

La recherche sur des probiotiques spécifiques indique que L. plantarum DR7 permet de réduire les symptômes de stress 40 et que L. plantarum 299v permet de réduire la kynurénine et d’améliorer les fonctions cognitives chez des patients atteints de dépression caractérisée. 41 La kynurénine est un métabolite du tryptophane associé aux symptômes dépressifs et des déséquilibres sont souvent observés dans la décomposition de la kynurénine et dans le ratio kynurénine-tryptophane chez les patients atteints de schizophrénie, des troubles bipolaires, de la maladie d’Alzheimer et autres.

Des effets anxiolytiques ont été observés sur des rongeurs avec du L. rhamnosus et des changements au niveau des récepteurs GABA dans certaines parties du cerveau chez la souris. 42 Une autre étude utilisant du L. rhamnosus pendant la grossesse a permis de constater une importante diminution de la prévalence des symptômes de dépression et de l’anxiété postpartum. 43 Les résultats d’une utilisation de L. helveticus combiné avec du B. longum pour traiter la dépression, le stress et l’anxiété étaient mitigés, même lorsque le traitement durait huit semaines.44,45 Une autre étude utilisant du L. helveticus et du B. longum avec des galacto-oligosaccharides (GOS) a abouti sur des baisses significatives au score BDI et dans le ratio kynurénine-tryptophane. 46 En utilisant seulement des GOS prébiotiques, le niveau de cortisol salivaire avait considérablement baissé, tandis que des FOS n’avaient produit aucun effet. 47 Quelques autres études ont démontré des améliorations notables sur l’humeur, la dépression et la santé mentale, en utilisant des mélanges de probiotiques incluant du L. acidophilus, du L. casei, du B. bifidum, du B. lactis, du L. brevis, du L. salivarius et du Lactococcus lactis. 48,49,50 Une importante diminution de l’anxiété a été observée avec du L. casei Shirota chez des patients souffrant du syndrome de fatigue chronique. 51 Tandis que B. longum n’a montré aucun effet sur l’anxiété, une diminution de la dépression a été observée au bout de 10 semaines, les scores de qualité de vie s’étaient améliorés et la réaction à des stimuli émotionnels négatifs avait diminué dans de nombreuses parties du cerveau (activité limbique réduite). 52 Des améliorations du sommeil et des symptômes de stress, notamment une baisse notable de l’anxiété, ont été observées avec du L. gasseri CP2305, 53 et L. casei s’est avéré utile pour améliorer la qualité du sommeil pendant des périodes de stress accru chez des adultes en bonne santé.54

L’autisme

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L’autisme (TSA) est intimement lié à la dysbiose et aux troubles gastro-intestinaux (GI), ce qui est mis en évidence par une présence élevée de Clostridium spp. et une faible présence de Bifidobacterium dans les selles, 55,56,57 et également par une microflore plus abondante, mais moins diverse. 58 Il est intéressant de noter que l’utilisation de vancomycine, un antibiotique qui n’est pas absorbé par les intestins, mais s’attaque aux bactéries à gram positif, améliore les symptômes du TSA. 59 Les prébiotiques et surtout L. reuteri seul, 60 ont été associés à des améliorations significatives dans les scores liés au comportement social des enfants atteints du TSA. 61 Une amélioration des résultats scolaires et de l’attitude envers l’alimentation, ce qui pose souvent problème en cas de TSA, a été observée avec du L. plantarum. 62

Un autre effet des probiotiques sur l’axe intestins-cerveau est la régulation de l’humeur associée à la récompense et aux comportements addictifs en utilisant du L. acidophilus. 63 Sur le plan préventif, il est ressorti d’une étude sur des enfants susceptibles de développer des troubles du développement neurologique, que le syndrome d’Asperger et le TDAH pouvaient être évités, en administrant du L. rhamnosus aux mères enceintes quatre semaines avant l’accouchement et en poursuivant le traitement pendant six mois après l’accouchement. 64 En ce qui concerne la maladie d’Alzheimer, une amélioration notable a été observée dans le score du mini-examen de l’état mental dans le groupe ayant pris du probiotique et la protéine C réactive avait également diminué.65

Conclusion

L’axe microbiote-intestins-cerveau est un domaine de recherche fascinant pour les probiotiques, ce qui s’illustre notamment par l’émergence d’un nouveau terme pour les qualifier : les psychobiotiques. Nous disposons de vastes connaissances à propos des bienfaits des probiotiques sur la régulation immunitaire, la digestion, les troubles cutanés et respiratoires, et nous commençons à comprendre leurs effets spécifiques sur l’inflammation, le métabolisme, les maladies auto-immunes, l’activité anticancéreuse et la communication neurologique. L’approche naturopathique, basée sur l’individu dans son intégralité, tient compte des nombreux recoupements et de l’intercommunication entre ces problèmes de santé variés, et tandis que des mixtures de probiotiques généralisées s’avèrent bien souvent bénéfiques, il est important de comprendre les actions distinctes que chaque probiotique peut produire. Les facteurs associés à la colonisation du microbiote au tout début de la vie sont des éléments fondamentaux pour la prévention des maladies et il est très utile de connaitre l’entérotype d’une personne, et son type de dysbiose, afin de pouvoir lui proposer une approche personnalisée. Enfin, tenir des fonctions spécifiques des différentes espèces et souches de probiotiques, et du type d’aliments qui favorisent leur croissance, permet de produire des bienfaits thérapeutiques spécialisés.